Le site de l’ancienne abbaye

A la Révolution de 1789, la communauté religieuse, qui ne comportait plus que quelques membres, fut dissoute et ses biens furent vendues comme biens nationaux.
L’Abbaye fut complètement détruite, et ses pierres furent utilisées pour construire des maisons. C’est ainsi que l’on peut retrouver ces pierres à Longvilliers, et aussi à Bréxent et Maresville.

Ce Saint François d’Assise, sur une maison à proximité du centre de Longvilliers,
est-il venu d’Italie pour rencontrer les moines de Longvilliers?

D’anciens propriétaires de la maison ne l’ont-ils pas placé là au 20ème siècle
pour rappeler que cette maison a été construite il y a plus de 200 ans avec des pierres en provenance de l’abbaye?

Ce qui reste de l’abbaye

Le cadastre de Longvilliers dénomme “ancienne abbaye de Longviliers” toute la partie de la vallée au Sud du chemin faisant face à Tateville, que l’on peut voir sur la photographie aérienne ci-dessous.

On peut observer qu’à l’intérieur du site de l’Abbaye la Dordonne fait un angle droit: le cours principal qui longe le versant gauche oblique brusquement vers le versant droit, tandis qu’un ru temporaire continue tout droit dans une prairie et rejoint la rivière en aval. Les eaux de la Dordonne avaient donc été capturées, pour continuer le long du versant gauche et alimenter le moulin de l’abbaye dont les bâtiments existent toujours. Entre le coude de la Dordonne et le moulin, subsiste d’ailleurs un chenal empierré qui a été appelé “la fausse rivière”. La dérivation avait une autre utilisation. Après le moulin, elle ne coule plus contre le versant mais au milieu de la vallée, séparant une prairie relativement bien drainée d’une autre très humide, située le long du versant gauche également aménagé par un rideau.
Les travaux de drainage, peut-être effectués en même temps que la reconstruction des bâtiments conventuels au 18ème siècle, ont eu une efficacité durable puisque la grande prairie qui s’étend au pied du moulin entre le coude de la rivière et le chemin qui même à la Longueroye est remarquablement sèche.

Le mur de clôture avait la forme d’un rectangle d’environ 250 sur 150 mètres carrés. Il n’en subsiste de nos jours que quelques vestiges, au Nord, à l’Ouest le long de la Dordonne et au Sud le long de la rue de l’Abbaye. D’après les éléments subsistants, le mur était construit à la manière du pays avec une forte base en grès séparée de la partie supérieure en craie taillée par un double lit de brique. On peut voir sur le plan le tracé vraisemblable du mur. En partant, au Sud Est, du moulin à eau qui en inclut des parties importantes dans ses annexes, on suit au Sud le chemin de la Longueroye (“rue de l’Abbaye”), puis à l’Ouest la rive gauche de la Dordonne. Il semble que le mur enjambait la Dordonne pour suivre le chemin de Tateville à Maresville (maintenant la D 146). Il longeait au Nord, au niveau de Tateville, le chemin de traverse qui ne serait autre que l’ancien chemin d’accès à l’église abbatiale, pour ensuite à l’Est suivre la rive droite de la Dordonne et enjamber la rivière un peu avant la dérivation. Il prenait alors le versant à mi-pente et faisait un dernier angle droit au niveau du moulin situé hors-clôture. Il ne subsiste de nos jours que quelques vestiges du mur, au Nord, à l’Ouest le long de la Dordonne et au Sud le long de la rue de l’Abbaye.

La prairie au nord de la dérivation, dénommée “jardin de l’abbaye” dans les textes anciens se décompose également en zones différentes. Celle présentant une sorte d’X à proximité des bâtiments conventuels, bien que située de l’autre côté de la Dordonne, fait penser a un jardin organisé, peut-être le jardin “à la Française” du Prieur. Le reste, divisé en parcelles de grandeurs et de formes diverses pourrait regrouper le verger-potager des moines.

Enfin le moulin à eau était complété, juste derrière lui, par un moulin à vent situé à flanc de coteau. La butte de ce moulin figure au cadastre napoléonien de 1816 comme “motte de l’ancien moulin de l’abbaye”. On peut encore voir son emplacement.

Quelques hypothèses sur l’organisation du site

On peut également émettre des hypothèses sur l’organisation de l’espace abbatial à l’intérieur de l’enceinte. La prairie humide à l’Est de la dérivation est traversée du Nord au Sud par une ligne d’arbres rectiligne, poursuivie vers l’Est par trois lignes de végétation séparant quatre “casiers” presque identiques: il pourrait s’agir des anciens viviers.
La texture des différentes prairies présente des anomalies: lignes claires signalant une pousse plus abondante de l’herbe dans la prairie au Nord de la dérivation, lignes sombres révélant une certaine humidité du sol dans la prairie au Sud de la dérivation. Les lignes sombres sont organisées en bancs et en quadrilatères épais, à proximité de la butte arborée occupant le centre Nord-Est de la prairie qui pourrait être le reste de l’église
Etant donné le schéma classique des abbayes, il est possible que ces lignes révèlent les substructures enterrées des anciens bâtiments monastiques. La juxtaposition de deux quadrilatères suggère assez bien la répartition des éléments conventuels autour de deux cloîtres. Une trace menant au moulin pourrait localiser le chemin reliant l’abbaye à ses annexes proches.
La prairie au nord de la dérivation, dénommée “jardin de l’abbaye” dans les textes anciens se décompose également en zones différentes. Celle présentant une sorte d’X à proximité des bâtiments conventuels, bien que située de l’autre côté de la Dordonne, fait penser a un jardin organisé, peut-être le jardin “à la Française” du Prieur. Le reste, divisé en parcelles de grandeurs et de formes diverses pourrait regrouper le verger-potager des moines.

L’église abbatiale

L’église abbatiale, dont l’emplacement est maintenant recouvert de ronces et de broussailles, était très grande et très belle, avec une tour renfermant sept cloches. Il n’en reste plus que de rares débris.

Une partie de ceux-ci se retrouve dans les ornements des églises de Longvilliers, Maresville et Bréxent.

Le dessin de l’abbé Robert-Paul Lepoutre ci-contre

est une tentative de reconstitution

Subsiste à Longvilliers

• Le moulin à eau, converti en ferme, puis en habitation.
• Des restes du mur d’enceinte.
• La ferme de la Longueroye avec une superbe grange du 13ème siècle.

Albert Leroy, historien du pays de Montreuil, a retrouvé deux pierres tombales d’abbés de Longvilliers du 17ème siècle. Elles sont situées dans une maison proche de l’ancienne abbaye, qui semble avoir été construite avec des matériaux provenant du monastère. L’une de ces pierres représente l’abbé commendataire René de Mailly.

     Champagne M. (2009) – L’Abbaye de Longvilliers, actes et documents, 1132-1793. Wambrechies: Groupement Généalogique de la Région du Nord, AM 379, 72 pages.

Subsiste aux alentours

• la ferme de l’Abiette à Attin avec une grange du 13ème siècle, en très mauvais état
• un chapiteau provenant de l’abbaye qui se trouve à Bréxent-Énocq

Le souvenir de l’abbaye dans les appellations locales

Trois sous-sections du cadastre rappellent l’abbaye: “l’ancienne abbaye de Longvilliers”, qui correspond à l’ancien site abbatial; “l’abbaye” qui correspond à un petit groupe de maisons, peut-être occupées par les anciens “familiers” de l’abbaye, avant Maresville; “le chemin des moines”, la plus vaste, qui s’étend sur le plateau occidental.

Le souvenir de deux chemins empruntés par les moines a été conservé:
• le chemin qui les menait à la ferme de la Longueroye, aujourd’hui “rue de l’abbaye”;
• celui par lequel ils allaient à Etaples, le “chemin des moines”.

En montant par la rue de l’abbaye, on arrive à la ferme de la Longueroye, ferme cistercienne du 13ème siècle, située au sommet du plateau à 90 mètres d’altitude.

La ferme de la Longueroye (propriété privée)

C’est par une superbe allée de tilleuls qu’on arrive à l’entrée de la Longueroye.

La ferme a conservé son caractère ancien, avec sa porte charretière, dont l’arc en plein cintre s’appuie sur des pieds-droits construits en grès jusqu’à une certaine hauteur ceci pour résister a l’usure, aux chocs et en briques cuites au feu de bois. L’ensemble est couronné d’un chaperon couvert de tuiles.

Les armes de Roger d’Aumont de Chappes

A environ quatre mètres de hauteur on peut voir un blason sculpté dans une pierre en oolithe de Marquise, où est gravée la date 1647. Surmonté d’un chapeau prélatrice, il représente les armes de Roger d’Aumont de Chappes, abbé commendataire de l’abbaye de Longvilliers qui devint évêque d’Avranches en mai 1645. Le blason a été victime des révolutionnaires et seule la “crosse en pal” est encore visible.

Une pierre sculptée identique existe à la ferme de l’Abbiette à Attin, autre dépendance de l’abbaye de Longvilliers.

La cour intérieure a des proportions étonnantes. L’ensemble des bâtiments forme approximativement un quadrilatère de près d’un hectare.

La grange cistercienne

Cette grange cistercienne est impressionnante. Elle est la plus grande et la plus belle grange de tout le pays de Montreuil. De la taille d’une grande église, elle mesure 62 mètres de longueur à l’extérieur, 17 mètres de largeur et 12 mètres de hauteur.

C’est un immense vaisseau à trois nefs, que trois arcs brisés montant jusqu’au faite divisent en quatre travées.

L’énorme toit, qui était en ardoise, a été remplacé par des tuiles vieillies. Le mur intérieur est couvert de graffitis gravés dans la pierre tendre. On peut lire des noms de plusieurs générations d’ouvriers agricoles.

Des puissants arcs boutants en briques enjambent les bas côté sous le toit Ils sont destinés à soulager les pannes, “les ventrières”, de l’énorme et remarquable charpente en chêne. Entre les piliers, des “chandelles” en chêne, qui sont sont des arbres équarris à d’herminette, reposent sur des pierres de grès noyées dans le mur de refend séparant la partie du bas-côté servant de couloir de circulation du côté opposé vers la cour constituant une allée pour les véhicules.

Vasseur L. (1978) – Exhumera-t-on un jour les vestiges de l’abbaye de Longvilliers? Plein Nord4090 bis, pages 30-31.

L’abbaye, entourée par les eaux était inévitablement exposée aux inondations de la Dordonne et aux alluvions. Ceci obligea les moines après 1712 à abandonner les anciens cloîtres et à en construire de nouveaux.

Roger Rodière rapporte que dans un mémoire manuscrit de 1735 tiré du chartrier de Longvilliers on pouvait lire:

« le limon est si abondant dans cette petite vallée, que le sol en a été relevé au point que dans la construction des bâtimens de l’abbaye faite depuis douze ans, on a pris le parti de faire servir les antiens cloitres de caves, et qu’on vient d’exhausser en 1734 le pavé de l’église de sept pieds [environ 2,30 mètres]. » (cité par Champagne 2009, page 2).

Le 5 mars 1791, l’abbaye avec son église, ses bâtiments, « le tout couvert d’ardoises » et environ 6 mesures de terrain, furent acquis comme bien national par le sieur Beaudelicque, d’Etaples, au prix de 51 200 livres. Puis elle devint la proie des démolisseurs, mais seules les parties des cloîtres situées en élévation furent détruites. Les cloîtres anciens existent donc encore

Champagne M. (2009) –  L’Abbaye de Longvilliers, actes et documents, 1132-1793. Wambrechies: Groupement Généalogique de la Région du Nord, AM 379, 72 pages.

Lucien Vasseur en tire les conséquences

« …ces sous-sols aujourd’hui ensevelis doivent être intacts ou presque; et demi.
Un coin de voile sera-t-il levé un jour grâce à de sérieuses fouilles? Verra-t-on ressurgir de terre le plan de cette abbaye fondée voila maintenant huit siècles et demi et qui eut son heure de prospérité?
Et puis que de souvenirs intéressant l’histoire et l’archéologie ne retrouverait-on pas!

En 1837, Louis Rebier, maître de la poste aux chevaux de Boulogne avait acheté les ruines de l’abbaye pour y faire des fouilles, mais il abandonna sans doute son projet qui de nos jours ne paraît guère motiver nos historiens.

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