La grande histoire de Longvilliers

Quel profond sujet d’étonnement pour celui qui qui compare la petite étendue du comté de Boulogne avec la grandeur de ses chefs, qui considère aussi leurs alliances avec les maisons royales d’Angleterre, d’Allemagne, de France, de Portugal, et encore toutes les races princières de l’Europe! Ce sentiment s’accroît, lorsqu’on songe qu’avec leur petit nombre de sujets, ces chefs ont fait trembler l’Angleterre, et, plus tard, la France même. Philippe Auguste dut faire appel aux communes contre eux, et c’est la France entière qui écrasa à Bouvines la coalition de l’Angleterre et de l’Allemagne, œuvre d’un comte de Boulogne.
Deseille E. – L’Année boulonnaise, Ephémérides historiques intéressant le pays boulonnais. Mémoires de la Société Académique de l’Arrondissement de Boulogne-sur-Mer, Tome 8. Boulogne-sur-Mer: Imprimerie Veuve Charles Aigre.

Dans ce contexte Longvilliers a tenu un rôle important. Son développement aux 11ème et 12ème siècles a incontestablement bénéficié du rayonnement du comté de Boulogne, qui a permis l’édification d’un château fort, pièce de défense maîtresse, et le développement d’une abbaye royale cistercienne.
Rares sont les ouvrages anciens traitant de l’histoire du Boulonnais qui ne mentionnent pas Longvilliers. De nos jours, plusieurs ouvrages extrêmement documentés ont été consacrés à Longvilliers, tant à la châtellenie et à l’abbaye qu’à la vie de la commune pendant la révolution et au cours de la période allant de 1870 à 1940.

Des origines de Longvilliers à l’importance de sa châtellenie

Selon Robert Fossier (1979 page 106), historien français, spécialiste du Moyen Âge, de renommée internationale, il n’existait pas d’habitat sédentaire à Longvilliers avant le 11ème siècle. C’est en ce siècle, où l’abbaye de Saint-Bertin à Saint-Omer possédait des terres labourables et même des vignes à Longvlliers (Champagne, 2009, page 4), que commence véritablement l’histoire de Longvilliers avec une

“construction, … à Cormont, là où, depuis, on fit commencer le terroir de la petite agglomération de Longvillers qui se tassa à ses pieds; on peut se demander si cette forteresse, et d’autre part la fameuse Pierre de Frencq plus à l’ouest, ne marquent pas la limite méridionale du comté du Xllème siècle, alors que le pagus Bolvniensis poussait jusqu’à la Canche. L’apparition du hameau de Longvillers, antérieur de quelques années, voire quelques décennies, à la création de l’abbaye, est certainement consécutive à l’érection de la tour, qu’on peut ainsi placer vers 1100 ou 1110. Lorsqu’en 1196 la place fut cédée à la famille de Cayeux, lignage tentaculaire de la région, il est question plutôt d’un ploicum, ce qui rattacherait la construction au groupe des maisons fortes cernées de fossés, mais non bâties sur motte ; aujourd’hui encore ce terme (Plouy) figure sur le cadastre de Longvillers et de Cormont, en arrière du château actuel.”

Fossier R. (1979) –  Etapes de l’aménagement du paysage agraire au pays de Montreuil. In Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public. 10e congrès, Lille, 1979. Le paysage rural: réalités et représentations. pages 97-116.

C’est sans doute en 1049 que la forteresse évoquée par Fossier est érigée à l’initiative d’Eustache II, comte de Boulogne. Elle fait partie d’une ligne de défense comprenant du Nord au Sud les forteresses de Fiennes, Belle-Houllefort, Tingry, Longvilliers, qui constituaient les quatre châtellenies du Boulonnais. Selon Lefebvre (1910) elles auraient aussi permis de s’opposer à l’invasion des barbares du Nord, et c’est ce qui expliquerait pourquoi elles se trouvent relativement rapprochées de la mer.

Lefebvre A. (1910) – Le château de Belle-en-Boulonnais. Mémoires de la Commission Départementale des Monuments Historiques du Pas-de-Calais, tome 3, pages 33-59.

Par sa position au Sud du Comté de Boulogne, la forteresse de Longvilliers était une pièce maîtresse dans la défense de celui-ci. Leurs châtelains, primitivement nommés par le comte de Boulogne, devaient entretenir une garnison. Bien avant 1200 ils sont désignés par le terme de dominus: ils sont les seigneurs, propriétaires de la châtellenie, et à ce titre appartiennent à la catégorie supérieure du monde nobiliaire, juste après le comte. Ils avaient le statut important de pairs du Boulonnais et rendaient la justice. A partir du 13ème siècle ils apparaissent comme appartenant à la chevalerie.

Plusieurs documents permettent d’avoir un aperçu de l’étendue et de l’importance de la châtellenie aux du 13ème et 14ème siècles.

Etaient inclus dans le territoire de la châtellenie: Engoudsent, Recques et Marquise avec des biens importants situés à Attin, Bernieulles, Cormont, Dames, Enocq, Fordres, Frencq, Hubersent, Inxent, Rollez, Tingry, Tubersent et de très nombreux hommages dans ces communes, ainsi qu’à Camiers, Estréelles, Maresville, Neufchâtel, Widehen (Champagne 2019, page 5).

Le château de Longvilliers changea plusieurs fois de propriétaire au cours de son histoire.

Longvilliers – Carte de Cassini 18ème siècle (‘source gallica.bnf.fr / BnF)

La fondation de l’abbaye

L’abbaye de Longvilliers fut fondée dans la dépendance de Savigny peu avant 1130, d’abord à Niembourg, à quelques kilomètres de Longvilliers sur la commune d’Halinghen. C’est en 1135 qu’elle fut transférée à Longvilliers, dans la vallée de la Dordonne en aval du village. Selon Robert Fossier (1979 page 105), le choix du site, près de Maresville, se justifiait par l’existence d’une zone encore sauvage en cet endroit. Le site se trouvait en outre à proximité du hameau de Notre Dame (en 1042 Sancta Maria villa, qui serait à l’origine de Maresville). Ce choix correspondait à l’idéal des fondateurs qui mettait en avant le désir de la simplicité monastique authentique et de la pauvreté évangélique. Le cadre potentiellement splendide fut mis valeur par les moines qui irriguèrent la vallée en créant un canal de dérivation de la Dordonne, défrichèrent la forêt et cultivèrent les terres.
L’existence de l’abbaye fut reconnue par le comte de Boulogne, Etienne de Blois, et son épouse Mathilde, petite-fille de Sainte Ide.

C’est dans la première moitié du 12ème siècle, sous la direction de Saint Bernard, l’une des personnalités les plus influentes de cette époque, que le mouvement cistercien commença à se propager rapidement dans toute l’Europe. A la fin du 13ème siècle on comptait plus de 500 monastères, dont l’abbaye de Clairvaux située à Ville-sous-la-Ferté (Aube) fondée en 1115 par Saint Bernard et quelques disciples et l’abbaye de Savigny, fondée en 1113, située à Savigny-le-Vieux (Manche). l’abbaye de Savigny, dont la création était antérieure à l’ordre cistercien fut rattachée à celui-ci en 1147, entraînant avec elle ses « filles » (la majorité d’entre elles étaient en Angleterre), dont Longvilliers.

Comme le remarque Fossier (1979 page 109) l’abbaye n’a sans doute guère eu d’incidence sur le développement de Longvilliers, puisque les moines se flattaient, précisément, d’échapper aux usages villageois.

Malheureusement, l’histoire de cette abbaye, détruite à la révolution, est mal connue car elle n’a laissé ni chronique, ni cartulaire, ni archives.

Miniature sur parchemin datant du XIIIe siècle et montrant la fondation des quatre premières abbayes filles de Cîteaux. © Cambridge University Library

Des personnages étonnants

A l’exception de la période de la guerre de la Ligue à la fin du 16ème siècle, Longvillers n’a pas connu de fait historique majeur. La raison en est que le château fort et sa garnison ont toujours dissuadé les éventuels envahisseurs. Au Moyen Âge les seigneurs de Longvilliers se sont cependant illustrés sur différents champs de bataille, notamment pendant la guerre de cent ans. Charles Blondel, seigneur de Longvilliers, connut ainsi une fin tragique à la funeste bataille d’Azincourt en 1415.

Par la suite Pierre de Sourhouette du Halde,  premier valet de chambre du roi Henri III, devenu seigneur de Longvilliers, eut un rôle dans deux évènements importants de l’histoire de France aux côtés de Henri III: c’est lui qui le 23 décembre 1588 réveilla le roi le jour de l’assassinat du duc de Guise, et qui le 2 août 1589 introduisit dans la chambre du roi (de Vaissière 1912, page 254) le moine dominicain Jacques Clément, sans savoir qu’il allait l’assassiner.

Au siècle suivant, Longvilliers eut pour abbé Antoine de Bourbon fils légitimé du roi Henri IV.

Longvilliers peut ainsi s’enorgueillir d’un certain nombre de personnages étonnants, qui contribuent encore de nos jours à sa renommée.

La bataille d’Azincourt (1415) © Chroniques d’Enguerrand de Monstrelet
Longvilliers Eglise Chateau
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